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Willy Dorsel ou Van Dorsselaer Article paru dans l'Alsace 02/2015

Article sur la vie du compositeur !
« 70 ans de mariage, comment ai-je pu ? »
La Saint-Valentin ne leur inspire pas grand-chose, mais cela fera 70 ans cette année que Willy et Francine s’aiment. En attendant de fêter leurs noces de platine, comme deux autres couples colmariens – encore en vie – ces dernières années, ils évoquent ces liens qui les unissent depuis toujours ou presque : ceux du mariage, mais aussi de la musique et d’une complicité sans borne… Willy (96 ans) et Francine (92 ans) Van Dorsselaer, chez eux à Colmar où ils vivent toujours : « À notre âge on s’encourage à vivre, pour l’autre ».
« Si tu continues comme ça, je demande le divorce ! » , lance Willy Van Dorsselaer, né voilà 96 ans alors que la Grande Guerre faisait encore rage, à sa chère et tendre de quatre ans et demi sa cadette. Et ils s’esclaffent… Francine avait prévenu : « Oh oui, vous pouvez passer : on n’est pas encore trop moches, et puis il n’y a rien de secret… Enfin on se chamaille un peu plus qu’avant, mais rien de grave, c’est juste qu’on se voit plus souvent depuis la retraite de mon mari… » Ces deux-là se connaissent depuis une éternité : « L’oncle de Willy, qui était Belge comme lui, est venu réaliser des travaux de maçonnerie dans le Pas-de-Calais, où ma tante tenait un bistrot, poursuit Francine, née Péru. Ils sont tombés amoureux et se sont mariés, donc quand Willy venait voir son oncle, nous pouvions jouer ensemble. Mais quand lui est devenu un jeune homme, j’en étais encore à la poupée… »!
« Quand le diable s’en mêle, on ne peut rien faire ! » Lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale, Willy Van Dorsselaer combat dans l’armée belge mais est fait prisonnier : « Comme j’étais musicien, on m’a donné le choix : c’était un aller simple pour l’Allemagne, ou bien je devais jouer pour les Allemands, en Alsace. J’ai choisi Colmar ». Ce n’est qu’après la Libération que le futur couple se revoit, dans le Nord : « Ce devait être au mois d’août, en 1945 ». Et attention, le récit de leurs premiers émois vaut son pesant de moules-frites : « C’est là qu’elle m’a mis le grappin dessus » , sourit Willy. « On ne sait toujours pas vraiment ce qu’il s’est passé, tempère Francine, il m’a proposé de jouer un morceau de clarinette, donc nous sommes allés au calme dans la chambre de son oncle et ma tante : il a interprété Sans toi, chérie, je n’ai plus rien… » « Et j’ai tellement bien joué qu’elle a voulu m’embrasser ! », coupe Willy. « Pas tout de suite : ma tante nous a appelés depuis la cuisine, il s’est retourné, et sa bouche s’est retrouvée près de la mienne… » Pas moins fier sept décennies plus tard, Willy conclut : « Quand le diable s’en mêle, on ne peut rien faire ». Quatre mois plus tard, trois jours avant Noël, les tourtereaux se passent la bague au doigt.
« On s’aime encore plus, c’est ça le malheur »! Et après ? L’histoire n’en est qu’à ses balbutiements : « À la base nous souhaitions nous installer en Belgique, mais les frontières étaient fermées, notamment pour ne pas que des collabos disparaissent dans la nature ». Les jeunes mariés se rendent donc à Colmar, où Willy enseigne au conservatoire de musique. Sa réputation de pédagogue, mais aussi de créateur, d’interprète et de chef d’orchestre de jazz, franchit peu à peu les frontières de la région et même de l’Hexagone : professeur de talents locaux comme Robert Mérian, « Ray » Halbeisen ou Paul Lamaze, il compose plus de 200 morceaux inscrits à la Sacem, fait parler de lui aux États-Unis, sympathise avec Albert Schweitzer, rencontre la reine des Belges, devient chevalier à l’ordre des Arts et des Lettres… Francine, qui a rapidement abandonné son métier de sténo-dactylo pour s’occuper du foyer et de leurs deux enfants (Alain, aujourd’hui âgé de 66 ans et Martine, 64 ans), confie aujourd’hui « avoir souvent été jalouse des femmes qui gravitaient autour, forcément. Mais je ne le disais pas, sinon on se serait disputés, et on ne se voyait déjà pas tant que ça. Mais si j’apprenais aujourd’hui qu’il m’a trompé, gare ! », s’amuse-t-elle.!
Depuis trente ans que son époux est à la retraite, Francine peut en « profiter pleinement ». Aujourd’hui du haut de leur grand âge, ils vivent encore chez eux et leur amour crève les yeux : « Certes, ce n’est plus l’amour d’avant, répond Francine, d’un ton espiègle. Mais on s’endort toujours main dans la main, avec un fond musical. Et on prend soin l’un de l’autre, on devient de plus en plus complémentaires ». Francine estime s’occuper de Willy « mieux qu’une infirmière ». Ce dernier, qui fait parfois la lecture à sa femme désormais malvoyante, se fait soudain sérieux pour retourner le compliment : « Et tu as du mérite… » Lui peint encore des tableaux en amateur, « mais seulement l’été sur le balcon, car elle ne supporte plus l’odeur ». Tous deux font encore parfois danser leur vie, lui à l’orgue « quand je n’ai pas mal aux doigts » et elle poussant la chansonnette, agrippée à ses épaules : « Elle avait une voix d’or ».!
À quelques mois de fêter leurs 70 ans d’union « si Dieu le veut » , il en rit déjà ( « Comment ai-je pu ? » ) quand elle confie à voix basse : « Au final je crois qu’on s’aime encore plus, c’est ça le malheur, même si c’est une grande chance. À notre âge on s’encourage à vivre, pour l’autre ». Un bémol à cet accord parfait ? La crainte de se retrouver seul, bien sûr…

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